Beira encore. De l'intérieur vers la côte heureusement barrée ici par de hautes dunes. De ce côté, une rizière, coincée entre l'eau de la mer et les eaux du fleuve Pungwe qui draine la plaine et se déverse à grands flots au cours de la saison des pluies, ici aussi, comme dans la vallée du Zambèze plus au nord, les inondations sont habituelles mais elles n'ont pas atteint les dimensions catastrophiques de celles du Limpopo, plus au sud. Beira, comme Sofala des siècles avant elle (voir les liens sur le Mozambique), tire son charme de sa qualité de centre régional, agglomérant différents types de populations, du haut plateau, de la plaine, du littoral, des commerçants d'origine indo-pakistanaise,...

La vision des grandes graminées, me rappellent la route allant de Chimoio vers le nord, Tete, au bord du Zambèze.

 

Sur la route de Tete.

Mozambique. Entre Tete et Catandica. Le silence s'était fait dans l'habitacle de notre voiture. Cette voiture robuste ronronnait, bondissant sur les inégalités de la route qui se déroulait comme dans un long labyrinthe, bordée qu'elle était par de hautes graminées qui prenaient une couleur fauve profonde et chaude - le capim. Cette route inquiétait toujours. Je le sentais dans les regards que jetaient mes compagnons de voyage, tendant le cou pour voir pardessus les sièges avant. On cherchait à se remémorer les virages que la barrière végétale nous empêchait de deviner. La nuit qu'on devinait et la fatigue du voyage, peut-être aussi le Coca-Cola et les arachides que nous avions avalés à notre dernier arrêt et apaisaient notre appétit, plongeaient chacun dans une réflexion éveillée et silencieuse. Les longues ombres du capim avaient laissé la place à un clair-obscur crépusculaire qui nous livrait à nos angoisses, nos solitudes, nos souffrances. Dans le lourd silence inquiet qui n'a pas encore cédé à notre pressante envie de peupler la nuit de nos voix et fuir cette solitude mais qu'il convient de goûter, on ne pouvait s'empêcher de guetter une présence humaine. Une odeur de fumée. Les jappements d'un chien. Une trouée révélant une piste s'éloignant de la route. Aucun indice d'humanité ne venait nous réconforter. Le vent était chaud et chargé de cris d'oiseaux et de singes que l'on n'apercevait jamais et qui se perdaient dans l'étouffoir de la végétation et du noir. Enveloppés dans ce climat morose, on entrait dans la solitude, avec seule sécurité cette boîte de tôle trop rouillée. La nuit commençait à se remplir d'ombres, des esprits d'autant plus redoutables qu'ils étaient capables de peupler ces contrées sauvages et solitaires. Cette solitude angoissante et la pesante présence de ces entités nous plongeaient dans un état où chacun de nous devinait ses terribles destins, voilà ce que je crois.

Les maxillaires de Teté étaient secoués par des tensions nerveuses. Ses yeux regardaient droit devant. Il avait le cou tendu. Le crépuscule lourd le plongeait dans sa saga personnelle, peut-être était-elle peuplée de coups de feu et de sang, d'explosions et de camions, de haine et de douleur. Son destin. D'où on venait, il avait fait une mauvaise affaire ou une affaire nulle, loin des résultats qu'il avait escomptés. Il se savait limité, manquant toujours de ce coup de rein de la sorte - chance - pour réussir une projection personnelle. Il était encore et toujours englué dans les tensions de sa famille. Les maladies. Les jalousies et les mâles qui veulent s'imposer, entre oncles et neveux, entre beaux-frères, fils, cousins, sexe, argent, maladie et magie.

Mon cher Renaldo, à quoi songeait-il? Devinait-il une puissance occulte qui le guettait, qu'il confrontait depuis déjà plus de quatre ans. Tel un poisson vigoureux, pris, mais pas encore rendu, il ne laisserait la lutte que mort. Il ressentait une force maléfique qui le mangeait, qui le minait, minait sa vie de famille; la maladie et la mort rôdaient autour de lui. Pour lui faire face, il s'était entouré de médecins avec leurs drogues chères, parfois efficaces, parfois impuissantes. Et puis il s'était immergé dans les univers d'objets de fibres, de sang, d'humeurs, de fumée, d'incantations, de murmures, d'occulte, de secrets, de puissances, de graines, de pierres, d'os, de perles, de racines, de poudres, de ressentiment, de suspicion. Il tentait de tracer les liens entre cette souffrance qui lui occupait aussi le corps, la force maléfique, l'esprit et les personnes qui ont affaire avec lui. Il explorait sa vie, sa famille, ses amantes, sa bourse, sa félicité, ses malheurs, tentant de retracer à travers ces liens habituels les sources et surtout les issues à ses malheurs, que nous ignorions! Mais voilà il nous quitta, victime du virus.


Maio, j'ignore où était son esprit. A la quête du silence. Maio était confiant. Que sa mort pour l'arrêter. La souffrance ne pouvait être que dans le passé, au-delà de ce qu'il avait vécu, il n'y aurait que sa mort à lui. La guerre. La galère. La famille qui éclate, le choléra qui frappe. Maintenant, avec devant lui une bonne opportunité professionnelle, cette obscurité le baignait, fort de la confiance d'avoir pu traverser la nuit pour arriver à la lumière et les voix qui peuplent la traversée, il faut les écouter, les choyer et les bénir.

Et moi, je ne pouvais pas être très loin de Maio, je me ravisais de l'angoisse qui étreignait mon corps, moi qui ne voyais que l'ennui comme destin terrible. Et tout serait mieux que cela pour celui qui n'a pas senti le sang.

Mozambique
Rizières à Beira. 1998
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fiction