J'entendais, dans les conversations de tous les jours, parler des esprits, de mauvais esprits (port. Espíritos máus). Peut-être est-ce parce que cette expression se réfère tant à la Bible qu'au discours local qu'elle était si communément employée, que ces mots pouvaient se dire. Immanquablement, la notion de 'mauvais esprits' dans la perspective pentecôtiste qui caractérise la plupart des mouvements religieux, Eglises locales, se rapporte aux ancêtres mais aussi aux charismes conférés par l'Esprit-Saint (glossolalie et don de guérison). Si ces termes appartiennent à des conceptions différentes et même concurrentes au départ, soit la foi chrétienne prêchée principalement par les Franciscains au Mozambique et le monde spirituel, social et politique local, le pentecôtisme par ses pratiques charismatiques et l'association qu'il naturalise entre Esprit-Saint et mauvais esprits, stimule une appropriation locale et une articulation entre deux registres religieux que l'idéologie coloniale avait constitués en antagonisme. Les nouveaux mouvements religieux, les Eglises pentecôtistes, d'inspiration protestante pour la plupart, développent une pratique de lecture et d'interprétation systématique de la Bible. Il est significatif, par exemple, que dans l'église de Zion dont je traite ici, les lecteurs de Bible soient des personnages clés des rituels. De même, du point de vue des membres et animateurs de ces mouvements religieux, ces termes articulent la Bible avec les conceptions des personnes qu'ils veulent convertir.

 


Eglise de Zion. Lors d'une cérémonie de prière dominicale dans l'église non encore achevée. 1999
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Les membres de l'Eglise participent à deux types de cérémonies: les assemblées de prière, qui se passent dans leur église en voie de construction, on voit le pasteur diriger une danse, ou alors des rituels de purification organisés chez des membres de l'église. Ces rituels ne sont pas payants, l'hôte prépare de la nourriture et une boisson sucrée non alcoolisée à base de farine de maïs. Le "prix" du salut offert par l'Eglise est la participation à ces rituels.

Les "prophètes" ne se font pas payer pour les services, guérisons, conseils qu'ils donnent, les patients-membres peuvent leur offrir des cadeaux pour services rendus. Selon un prophète que j'ai rencontré, s'il monnayait son charisme, son don, il romprait son alliance avec Dieu et perdrait ainsi son pouvoir de guérison. Ce refus de la monétarisation de la cure, de la santé mentale et physique, et la volonté de se distinguer des "guérisseurs", "sorciers", "thérapeutes traditionnels" (port. Curandeiros , shona: madziganga) caractérisent ces mouvements religieux pentecôtistes.

 

Au cours d'une cérémonie de purification, les jeunes batteurs chauffent leurs tambours, ils accompagnent la longue nuit de danse et de prière. 1999.

Le lieu de culte était une grande case ronde. Son toit de chaume encore inachevé laissait passer une lumière généreuse ; en son centre un grand pilier de bois soutenait le point de rencontre de toutes les longues solives ; ce tronc d'eucalyptus était entouré d'un muret sur lequel venaient se placer les jeunes batteurs de tambour

Les fidèles étaient séparés, d'un côté, les femmes et les enfants assis à même le sol et de l'autre, les hommes sur des bancs de bois. Près de l'entrée, trois liseurs de Bible, des conseillers, hommes assis devant des tables basses recouvertes d'un napperon clair. Ils n'intervenaient pas publiquement mais chantaient et lisaient continuellement, comme pour eux-mêmes. De jeunes prêcheurs intervenaient régulièrement, lisant des extraits des Ecritures en Shona et les commentaient longuement. Ces lectures étaient suivies par des chants et des danses qu'initiait le ‘maprofeta’ principal - pasteur - vêtu de ces attributs rituels. Après une invective, il lançait des chants repris par l'assemblée, tous se levaient et dansaient, tournant autour du centre de l'église. D'autres ‘maprofetas’, féminins et masculins parlaient en langues dans une sorte de transe dans laquelle les emmenaient leurs incantations, leurs longs chants, leurs danses circulaires et la musique. .

 

Mozambique
Assis dans un coin de l'église, un lecteur de Bible,
un assistant, de l'Eglise de Zion. 1999.
Agent religieux
Alter-égaux